Il faudra désormais s'habituer à la présence dans les foyers français de Linky, le nouveau compteur électrique "intelligent" d'ERDF, la filiale d'EDF chargée de la distribution du courant. Le ministre de l'industrie Eric Besson a annoncé, mercredi 29 septembre, l'installation généralisée de ces boîtiers fluos entre 2014 et 2020. L'objectif du dispositif, imposé par une directive européenne : connaître en temps réel sa consommation d'électricité, et pouvoir en conséquence mieux la maîtriserpour faire des économies. "Ce nouveau compteur va faciliter la vie des Français et leur permettre d'être acteurs de leur consommation", a assuré Eric Besson.
Mais la mise en place de Linky, considérée comme le "plus important déploiement au monde de compteurs communicants", est loin de faire l'unanimité. La décision a provoqué une levée de bouclier des associations de consommateurs. Ainsi, Consommation, logement et cadre de vie (CLCV) estime que Linky ne "répond pas aux exigences de transparence pour les consommateurs". Mêmes réserves du côté des collectivités locales, qui redoutent un verrouillage du marché de la distribution électrique.
Quel coût pour le consommateur ?
Au total, près de 35 millions de foyers français devraient être équipés de ces compteurs intelligents. Un vaste chantier évalué à 4,3 milliards d'euros, mais qui n'aura "pas d'impact" sur la facture du particulier, selon le gouvernement. Les surcoûts liés aux nouveaux compteurs doivent en effet être intégralement pris en charge par ERDF. Le groupe estime que cette somme sera amortie par les gains de productivité dégagés notamment par l'arrêt des déplacements de ses agents pour inspecter les compteurs.
"Mais tôt ou tard, le coût de [Linky] va être répercuté dans le tarif d'acheminement de l'électricité, et donc se retrouver sur la facture, qui sera alors augmentée de 1 à 2 euros par mois", redoute Grégory Caret, directeur d'études chez UFC – QueChoisir, interrogé par La Croix. Les associations de défense des consommateurs craignent en effet une augmentation du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (Turpe), ce tarif méconnu qui rémunère les acteurs du secteur électrique. "Il faudra rester très vigilant pour voir s'il n'y a pas d'augmentation, car ce n'est pas exclu qu'ERDF joue sur ce tarif pour répercuter à long terme les coûts d'installation des compteurs", explique le délégué général de CLCV.
Les associations soulignent aussi la mauvaise évaluation du coût de l'appareil. Selon ERDF, le prix du compteur s'élèverait à 120 euros, pose incluse. Mais la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) l'évalue plutôt à 240 euros. Un coût de toute façon élevé si on le compare à celui des appareils développés à l'étranger. En Italie, il est facturé 80 euros l'unité.
Linky peut-il vraiment modifier la consommation électrique des foyers ?
Expérimenté depuis 2010 à Lyon et en Indre-et-Loire, Linky est "un succès" selon Eric Besson. "Les résultats techniques de l'expérimentation ont été très bons : seuls 0,7 % des compteurs ont fait l'objet de réclamations", affirme ainsi le ministre de l'industrie. Mais si "techniquement, le projet pilote est valide", il n'a eu que "très peu d'effets" sur la consommation des ménages, estime Jean-Luc Dupont, président du Syndicat intercommunal d'énergie d'Indre-et-Loire. Selon une étude réalisée auprès de 150 collectivités du département et de quelque 1 500 foyers,"pour 90 % des consommateurs, l'arrivée de Linky n'a rien modifié dans leurs pratiques." Un constat qui pose la question de l'efficacité du nouvel appareil.
"Contrairement à l'engagement pris dans la loi Grenelle 1, les compteurs communicants ne permettent pas aujourd'hui aux consommateurs de mieuxconnaître leur consommation d'énergie en temps réel, et ainsi de la maîtriser",affirme dans un communiqué l'association UFC-Que Choisir. Première explication à ce manque d'information : pour plus de la moitié des foyers, le compteur Linky est situé à l'extérieur du domicile, "à l'entrée d'un lotissement par exemple, sur le seuil d'un appartement voire même au sous-sol dans un immeuble" explique Thierry Saniez. Une disposition qui empêche le particulier d'avoir accès aisément à sa consommation, et constitue "un frein considérable" pour mettre en place de nouvelles pratiques énergétiques.
En outre, même lorsqu'il est aisément accessible au sein même du domicile, Linky "ne permet pas d'obtenir d'informations sur la réalité de la consommation", se plaignent les associations. Les données fournies par le boîtier ne sont pas"qualitativement suffisantes" pour permettre de faire évoluer les pratiques énergétiques, affirme Thierry Saniez. Des relevés quotidiens seront désormais disponibles, mais pas détaillés en fonction des périodes de la journée. "Les gens apprennent donc qu'ils ont consommé tant le lundi, mais ça ne les avance pas à grand-chose. Tandis que s'ils savaient combien ils ont consommé le lundi matin, le lundi après-midi, le lundi soir, ils pourraient comparer ces informations avec les grilles tarifaires, et modifier leurs pratiques en fonction des heures creuses et des heures pleines", explique le représentant de la CLCV.
Les associations redoutent que ces informations détaillées ne soient fournies qu'en cas de souscription d'un service payant proposé par la suite. EDF a ainsi déjà testé une formule de services payants facultatifs liés à Linky, explique Le Figaro. L'abonnement, facturé 3,50 euros par mois, permet aux consommateurs d'accéderà un espace personnel et sécurisé via Internet, "où ils peuvent visualiser leur consommation, en euros, en kWh, et en CO2, comparer consommation réelle et consommation prévisionnelle..." Un service qui va à l'encontre même des objectifs de Linky, affirme Thierry Sanier : "On se retrouve dans une situation où on aura effectivement une information gratuite, mais inutile, et où il faudrait payer pourobtenir ce pour quoi Linky a été lancé."
Internet et sécurisation des données Toutes les informations communiquées par Linky se font dans "une logique numérique", et sont donc consultables sur Internet, via son espace client. Ce qui introduit "une logique discriminatoire" pour Jean-Luc Dupont, président du syndicat intercommunal d'énergie d'Indre-et-Loire. "Le fait que tout passe par Internet vahandicaper des franges entières de la population, qui n'ont pas d'accès numérique soit pour des raisons financières, soit pour des raisons pratiques. Or, ce sont au contraire les populations plus pauvres qui auraient besoin de ces informations détaillées pour pouvoir faire des économies d'énergie", explique l'élu d'Indre-et-Loire.
Autre source d'inquiétude, la sécurisation des données. "La mise en place de ces compteurs électriques intelligents impliquera la collecte d'informations détaillées sur notre consommation électrique, ce qui pose des problèmes de respect de la vie privée", explique la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) sur son site. "Les informations de consommation d'énergie transmises par les compteurs sont très détaillées et permettent de savoir beaucoup de choses sur les occupants d'une habitation, comme leur horaire de réveil, le moment où ils prennent une douche ou bien quand ils utilisent certains appareils (four, bouilloire, toaster...)", explique la Commission, qui promet d'être vigilante sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité.
Monopole sur la distribution électrique La fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) s'est également fendue d'un avertissement, et voit d'un mauvais œil l'arrivée de Linky dans les foyers. Dans l'Hexagone, depuis 1906, les réseaux de distribution électrique ainsi que les compteurs appartiennent en effet aux collectivités locales, ERDF n'étant jusqu'à présent que le principal concessionnaire (exploitant). Des concessions limitées dans le temps, qui permettent, lorsqu'elles arrivent à échéance, de renégocier les tarifs à la baisse pour les collectivités locales.
Linky risque de bouleverser la donne. Pour qu'ERDF prenne en charge le financement de l'installation généralisée des nouveaux compteurs, l'entreprise prévoit d'amortir ses dépenses sur vingt ans. "Le modèle économique de Linky repose donc sur le fait de garantir à ERDF pendant vingt ans la concession des compteurs", explique Jean-Luc Dupont. Or "la nouvelle directive européenne sur les concessions de services impose l'ouverture à la concurrence, y compris dans l'énergie", poursuit l'élu. Le ministre de l'industrie Eric Besson a reconnu qu'il y avait là un blocage, mais a affirmé que les négociations étaient en bonne voie avec la Commission européenne.
Charlotte Chabas
Article paru dans LE MONDE le 30 septembre 2011
lundi 3 octobre 2011
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