vendredi 26 août 2011

Un ornithologue étudie l'impact des éoliennes sur les oiseaux

Si l'énergie éolienne est moins polluante que d'autres, elle a aussi des conséquences négatives pour l'avifaune et d'autres groupes d'animaux qu'on n'évoque jamais (insectes, araignées) : elle perturbe notamment la circulation aérienne des organismes vivants ejusqu'à 250 m de hauteur.
Son développement en France était encore y a peu moins important que dans les pays voisins, mais les autorités ont décidé de rattraper ce retard et les projets se multiplient désormais, avec souvent une indifférence totale concernant les impacts écologiques. Le principe de précaution préconisé par l'article 5 de la Charte de l'Environnement (qui a valeur constitutionnelle) est souvent oublié.
Dans le cadre de l'installation d'un parc d'éoliennes sur la commune d'Houdain-lez-Bavay dans le Nord, Jean-Charles Tombal, ornithologue au Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN), a réalisé une étude d'impact ornithologique indépendante afin d'apprécier les niveaux de risques de la dégradation écologique programmée dans un rayon de 50 km autour du site prévu, un secteur où vivent des espèces rares comme le Grand-Duc d'Europe, le Faucon pèlerin ou la Cigogne noire. Il propose une méthode qui pourrait être utilisée avant d'autres projets éoliens.

L'auteur

Ornithologue scientifique, membre de nombreuses associations nationales et régionales (dont le Groupe Ornithologique du Nord) et membre de Conseils Scientifiques Régionaux, j'étudie méthodiquement les oiseaux de la région Nord-Pas-de-Calais et de ses abords depuis plus de 40 ans.
J'ai publié de nombreux articles et coordonné la réalisation de l'Atlas régional des oiseaux nicheurs (période 1985-1995) ainsi que l'enquête "Oiseaux" du 15 novembre au 28 février sur la période 2005-2010.
J'étudie particulièrement l'avifaune des milieux forestiers, cultivés et industriels (friches, carrières). Grâce à la protection acquise dans les années 1970, les prédateurs, qui avaient complètement disparu de nos écosystèmes depuis le milieu des années 1960, retrouvent des populations inattendues : j'étudie le phénomène depuis son amorce.
Je ne néglige pas pour autant les oiseaux communs et je réalise des comptages systématiques sur 118 points depuis 1990 selon la méthodologie internationale standardisée. Je fais ces recherches principalement sur les espaces de grande culture dont l'évolution des populations nicheuses m'est ainsi bien connue.

Des inquiétudes croissantes

Depuis quelque temps, mon attention a été attirée par la multiplication de projets éoliens dans le sud-est de la région Nord-Pas-de-Calais. De nombreux articles de presse évoquent ce sujet qui divise les habitants.

Plusieurs responsables d'associations m'ont contacté et ont sollicité mon avis à propos des "zones de développement éolien". La prolifération de parcs gigantesques en Belgique et en Picardie, ainsi que l'installation de nombreux mâts de mesure du vent par les promoteurs aggrave les inquiétudes.

Un parc a déjà été édifié près de chez moi, ce qui me permet d'apprécier les impacts écologiques dans une zone de grande culture que je connais parfaitement. Les premiers résultats sont alarmants, non seulement pour les oiseaux, mais aussi pour des groupes faunistiques qu'on n'évoque jamais (insectes, araignées). Je pense qu'il est de mon devoir d'ornithologue "chevronné" de vous faire part de mes vives inquiétudes quant au choix de certains sites, totalement inappropriés à l'édification de parcs éoliens industriels. Nous allons vers une régression ornithologique majeure. Elle sera progressive, mais profonde (à lire sur Ornithomedia.com : L'énergie éolienne serait une menace pour la biodiversité).

J'essaie ci-après de vous expliquer pourquoi. Je propose également une méthodologie pour la réalisation d'études qui respectent réellement le principe de précaution.

La dégradation de l'écosystème aérien

En raison de leur mode de fonctionnement, les éoliennes sont des installations industrielles très particulières dont le principal impact écologique est de dégrader la qualité de la circulation aérienne des organismes vivants dans les strates situées entre le sol et 250 m d'altitude. Ces strates sont celles qui sont le plus utilisées toute l'année, jour et nuit, par les oiseaux dans leurs différents types de déplacements. Là où on édifie des éoliennes, les oiseaux ne peuvent plus circuler "librement", c'est-à-dire qu'ils ne peuvent plus choisir ni l'itinéraire ni la strate où leur vol serait le mieux adapté aux caractéristiques momentanées de l'air (température, force et direction du vent, visibilité).

Les oiseaux sont obligés d'improviser des vols "d'évitement", soit latéraux, soit verticaux. Un effort "artificiel" leur est donc imposé. Les oiseaux affectés ne sont pas seulement ceux qui nichent dans le secteur mais tous ceux qui sont amenés à utiliser l'espace aérien local pour leurs déplacements, de quelque nature qu'ils soient. Il s'agit d'une dégradation permanente, comme l'est celle provoquée par l'édification d'une autoroute, qui perturbe en permanence les espaces terrestres qu'elle traverse ainsi que l'espace aérien qui les domine sur une hauteur d'environ 25 m.

J'ai eu l'opportunité de mesurer les effets de cette dégradation de l'espace aérien en étudiant les répercussions de l'installation d'un petit ensemble de quatre éoliennes (plus une isolée) à proximité de mon domicile il y a un peu plus d'un an.

Le milieu concerné est une zone de cultures située à la limite du Cambrésis et de l'Avesnois. Avant l'implantation des éoliennes, les espèces remarquables suivantes étaient notées : En période de reproduction, les trois espèces de busards (des roseaux, Saint-Martin et cendré) nichaient, avec un effectif de cinq couples lors des meilleures années pour l'ensemble de la zone (cinq km sur cinq km). La Perdrix grise (Perdix perdix) était abondante (grâce à une bonne gestion des chasseurs) et la Caille des blés (Coturnix coturnix) régulière. Le Faucon pèlerin (Falco peregrinus), dont un couple niche sur un pylône d'une ligne à haute tension située à cinq km depuis plusieurs années, venait parfois chasser dans le secteur. En période internuptiale (automne, hiver, premier printemps), des groupes de Vanneaux huppés (Vanellus vanellus), de Pluviers dorés (Pluvialis apricaria), de Laridés, de Corvidés, de Pigeons ramiers (Columba palumbus), d'Etourneaux sansonnets (Sturnus vulgaris), se montant à des centaines d'individus, parfois des milliers, attirant des prédateurs comme le Busard Saint-Martin (Circus cyaneus), les Faucons pèlerins, émerillons (Falco columbarius) et hobereaux (Falco subbuteo) et le Hibou des marais (Asio flammeus).

Toute l'année, des oiseaux non cantonnés transitaient par la zone pour leurs activités biologiques et comportementales (collecte de nourriture, rassemblements pour le repos, la toilette, la communication). Plus la distance à parcourir était importante (elle peut atteindre 50 km), plus la hauteur de vol était élevée (jusqu'à 250 m).

Les conditions atmosphériques influent notablement sur la hauteur de vol et les oiseaux utilisent la strate la plus efficace pour le type de trajet à réaliser. En période de migration, comme dans n'importe quel endroit de la région, la zone est survolée par des millions d'oiseaux. Les déplacements se font essentiellement de nuit et à grande hauteur (plus haut que 250 m). Par nuit claire (pleine lune), on peut les observer et constater qu'ils volent vraiment haut. De jour, les passages se font souvent à une altitude plus réduite et les migrateurs sont visibles. J'ai personnellement observé toutes les espèces qui passent habituellement dans la région. L'éloignement de la mer fait que certaines espèces sont plus ou moins rares.

La présence de plusieurs plans d'eau et d'une vallée dans un rayon de cinq km amène parfois certaines troupes migratrices à voler plus bas (Cygnes tuberculés ou Cigognes blanches par exemple). Suite à l'installation des quatre éoliennes alignées selon un axe NNW-SSE sur 3,5 km, les stratégies spatiales de toutes ces espèces ont été pertubées et les effectifs ont fortement diminué, y compris ceux des migrateurs.
La zone terrestre est presque toujours vide, abandonnée notamment par les espèces grégaires dont les grandes troupes semblent s'être déplacées, sûrement à grande distance puisqu'elles ne sont plus observées dans un vaste secteur autour des éoliennes. L'espace aérien compris entre 0 et 250 m est évidemment beaucoup moins utilisé. Les oiseaux locaux suivent une stratégie adaptée de déplacement entre les éoliennes selon des "'couloirs" : on ne voit plus que des individus solitaires ou de très petits groupes. Il n'y a pas de contournement visible, la déviation latérale devant s'effectuer à grande distance des éoliennes (4 - 5km ?).

Les troupes volant haut (300 m - 500 m) ne semblent pas impactées, mais elles sont moins fréquentes. Les troupes significatives qui s'arrêtent encore et qui descendent se poser près des éoliennes sont composées d'oiseaux qui ne dorment pas dans le secteur. Il s'agit essentiellement de Laridés (surtout des Goélands bruns et des Mouettes rieuses), dont les dortoirs se situent à plusieurs dizaines de kilomètres. Ces oiseaux s'arrêtent lorsque les champs ont été fraîchement labourés et offrent une nourriture abondante. Mais ils se tiennent toujours à distance des éoliennes lorsque les pales tournent.

L'effet répulsif est particulièrement net lorsque un tracteur laboure un champ allongé dont une partie est située sous la zone de rotation : plus l'engin se rapproche des machines, moins les oiseaux restent à proximité. Les goélands partent les premiers, les mouettes restant un peu plus longtemps et parfois quelques rares téméraires s'approchent presque à la verticale des pales. Mais aucun oiseau ne suit le tracteur sous les pales.

La preuve de l'effet répulsif des pales est évidente lorsque les éoliennes s'arrêtent de tourner : cela se produit assez souvent car le vent utile dans le secteur est irrégulier. Les Laridés restent posés à l'écart pendant près d'une demi-heure, puis, jugeant la situation non dangereuse, ils se remettent à circuler dans l'espace aérien redevenu fréquentable, et certains oiseaux n'hésitent pas à passer entre les pales immobiles. Un jour, un Faucon pèlerin s'est même posé sur le capot d'une turbine, devenu un perchoir de chasse idéal ! Mais la moindre oscillation des pales déclenche un envol souvent durable : les oiseaux reviennent rarement sur place.

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